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Histoire de l’aéronautique navale

Robert Feuilloy, 31 mars 2010

Les débuts de l’Aviation maritime (1910-1918)

L’aviation en France progresse à grands pas à partir de 1908 et la traversée de la Manche par Blériot en juillet 1909 amène la Marine à prendre plusieurs mesures en 1910 et c’est à ce titre que nous fêtons cette année le centenaire de l’Aéronautique navale.

Premiers pilotes et premiers avions

Le 28 mars 1910, un hydroaéroplane vole, pour la première fois au monde, aux mains de son inventeur, Henri Fabre. En début d’année, sept officiers de marine sont envoyés au cours de pilotage dans des écoles civiles (photo). Il s’agit des LV Byasson et Hautefeuille et des EV Lafon, Devé, Delage, Conneau et Cayla. Ces sept officiers sont brevetés par l’Aéro-club de France entre août 1910 et mars 1911. La Marine passe commande d’un biplan Maurice Farman à roues le 12 septembre. Celui-ci, propulsé par un Renault 50 hp, est livré le 26 décembre 1910. Il est confié personnellement au LV Byasson et il est mis en œuvre sur le terrain de Buc (photo).

Les officiers aviateurs réalisent des études sur la mise en œuvre d’aéroplanes à bord de bâtiments de guerre. Souvent inspirées des expériences américaines récentes, ces études reprennent l’idée d’une plate-forme à l’arrière pour l’atterrissage et d’une autre à l’avant pour le décollage. En janvier 1911, l’Armée institue un brevet de pilote militaire, dont les épreuves sont passées par certains des officiers déjà cités. Mais le 14 avril, le LV Byasson, premier pilote de la Marine, se tue dans un accident aérien. Le même mois, le croiseur auxiliaire Foudre (photo) est choisi comme futur bâtiment central d’aviation et le CF René Daveluy est désigné comme « chargé de l’Aviation maritime ».

Daveluy entreprend une tournée des avionneurs et effectue quelques vols à Pau, alors que plusieurs officiers de marine pilotes participent à des compétitions, notamment l’EV Jean Conneau, qui se rend célèbre en remportant successivement trois courses, entre mai et juillet 1911. En septembre, Daveluy rédige un rapport qui débouche sur des propositions concrètes.

1912 – Création du Service de l’Aviation Maritime

Ce rapport entraîne le 20 mars 1912 la parution d’un décret et d’un arrêté créant le Service de l’Aviation maritime. Cet organisme relève directement du ministre de la Marine. Il comprend le centre de Fréjus – Saint-Raphaël et le croiseur Foudre. Il est en outre doté de crédits budgétaires particuliers. Le 15 avril, le CF Fatou prend le commandement supérieur de l’Aviation maritime et de la Foudre. Celle-ci est alors aménagée pour pouvoir embarquer deux hydravions, et un hangar en toile est installé sur le pont. En mai, l’Aviation maritime ne dispose encore que d’un seul appareil, le biplan à roues Maurice Farman de 1910, en cours de transformation (photo). En juin entrent en service trois nouveaux appareils, l’hydravion Canard Voisin et les Henri Farman HF1 et HF2.

Toutefois, le centre de Fréjus – Saint-Raphaël n’étant pas encore prêt à fonctionner, une base temporaire est installée près de Montpellier, Le MF1 est le seul à voler de juillet à octobre, date à laquelle il rallie Fréjus, Le Voisin est embarqué en juin sur la Foudre et vole aux mains du LV Cayla, mais il est détruit le 2 août et sera reconstruit sous une forme fort différente en Voisin 13,50 m sous le nom de V1 entrant en service en mai 1913. Un hydravion civil Nieuport, équipé d’un moteur 70 hp Gnome et piloté par l’EV Delage, embarque également sur la Foudre en juillet 1912.

L’hydravion civil Voisin, moteur 110 hp, appelé Les Armateurs de France, embarque aussi sur la Foudre en septembre et octobre, piloté par le LV Reynaud, ainsi que le Nieuport civil loué, piloté cette fois par le LV de L’Escaille.

Le centre de Fréjus – Saint-Raphaël est officiellement armé le 15 octobre et la Marine y réceptionne le 10 décembre son 4ème appareil, le Voisin V2.

1913 – Les hydravions arrivent

Les deux premiers hydravions Nieuport , immatriculés N1 et N2 (photo), sont réceptionnés par la Marine les 2 et 15 janvier 1913. Mais le Voisin V2 est détruit par le LV Cayla le 20 janvier 1913, en rade des Vignettes, puis c’est au tour du LV Fournié de briser le Farman HF2 à Fréjus le 3 mars. L’Aviation maritime est alors forte de cinq appareils (MF1, HF1 et 2, N1 et 2).

Et pourtant, le 19 mai, au cours des manœuvres navales de l’escadre, cette aviation embryonnaire remplit avec succès, mais sans la Foudre, des missions d’observation au large de la côte méditerranéenne, en utilisant trois hydravions (HF1, N1 et N2).

Le parc aérien s’étoffe en 1913. Après la réception des N1 et N2 en janvier, le N3 arrive en août et le N4 en décembre ; le V1, réapparaît en version 13,50 m en mai, ainsi que le V3, puis c’est le tour des V4 et V5 en novembre. Le premier Breguet à flotteurs, à moteur 110 hp Canton-Unné, livré le 26 mai, est accidenté le 30 par Louis Breguet lui-même, puis, réparé, est réceptionné le 18 juillet. Avec les deux Farman MF1 et HF1 qui approchent de leur fin de vie, c’est un total de onze appareils qui est en dotation à la fin de l’année.

La Marine fait effectuer le 18 décembre un « raid » aller-retour sur le trajet Fréjus-Nice, avec les trois appareils N4, N5 et V5 ; performance modeste, mais significative.

A cette même date, si la Marine a fait passer un brevet de pilote à 21 hommes depuis août 1910, elle n’en a effectivement en service à Fréjus que 11, les autres ayant été reversés au service général. C’est à partir de 1913 que le brevet de pilote est ouvert aux quartiers-maîtres et matelots.

1914 – Manœuvres aéronavales

Le 13 mars, trois officiers réalisent une traversée de Fréjus à Ajaccio en hydravions. Ce sont les LV de l’Escaille et Destrem sur les N4 et N5 et l’EV Janvier sur le V5. Seuls les deux premiers parviennent à Ajaccio.

Le premier Caudron de la Marine (photo), du type J, est réceptionné le 17 mars et immatriculé C1, équipé de roues encastrées dans les flotteurs et il est attribué au LV Nové-Josserand.

La Foudre participe au troisième meeting de Monaco qui se déroule du 1er au 15 avril, puis rallie Port-de-Bouc pour enfin recevoir la plate-forme d’envol qui est en place à la fin du mois. Elle est longue de 35 m et large de 8 m.

C’est à bord du Caudron C2 que le 8 mai, en rade de Fréjus, le pilote et constructeur René Caudron réussit un premier décollage (photo) à partir de la Foudre. La France est ainsi la troisième nation, après les Etats-Unis (1910) et la Grande-Bretagne (1912) à faire décoller un avion d’un navire.

Du 14 au 30 mai, des manœuvres de l’escadre se déroulent pendant quinze jours en Méditerranée occidentale. La Foudre y participe pour la première fois et embarque deux appareils, les C2 et V6. Six hydravions sont basés à Toulon : trois Voisin, deux Breguet (photo) et un Caudron. Quatre Nieuport sont basés à Bizerte. Au total l’Aviation maritime met en ligne 14 hydravions sur les 16 qu’elle possède. Les appareils participent efficacement, bien qu’ils n’aient pu localiser la force adverse, et ils totalisent 109 heures de vol. Pour la première fois, les pilotes utilisent la T.S.F. (télégraphie sans fil) pour transmettre des renseignements au commandant de l’escadre. Cependant les appareils de la Foudre n’utilisent pas la plate-forme d’envol, ce qui est surprenant, car l’occasion était idéale pour valider la formule.

L’essai de Caudron est renouvelé un mois plus tard, le 9 juin, par le LV de Laborde sur le C1, mais, au décollage, l’avion tombe à l’eau et est détruit. Le pilote est indemne, mais cet échec, suivi peu après de l’entrée en guerre, met fin à cette expérimentation qui ne reprendra en France qu’en octobre 1918 à bord du cuirassé Paris. La plate-forme de la Foudre est alors démontée. Elle n’aura pas vécu deux mois.

A la veille de la guerre

Le 10 juillet 1914, paraît un nouveau décret relatif à l’Aéronautique maritime, articulée en deux branches : l’aérostation et l’aviation. Le Service central de l’Aéronautique maritime (SC/Aéro) est créé à Paris et les principes d’indépendance de 1912 y sont confirmés. Le premier chef du SC/Aéro est tout naturellement le CV Noël qui depuis 1912 suivait les questions d’aviation à l’EMG. Il prend ses fonctions le 1er août et y restera jusqu’en septembre 1916. Le titre de commandant supérieur de l’Aviation maritime que détenait le CF Roque, commandant la Foudre, disparaît au profit de l’organisme parisien.

À la veille de la déclaration de guerre au mois d’août 1914, l’Aviation maritime est donc bien née, mais elle est encore très modeste. Grâce à l’obtention du brevet par 15 nouveaux pilotes en juillet, elle compte 26 pilotes, mais seulement 14 hydravions – 6 Nieuport, 6 Voisin (photo), 1 Caudron, 1 Breguet – et l’effectif du personnel non volant est d’une centaine de marins.

La Grande Guerre (août 1914 – novembre 1918)

Au début de la guerre, l’Aviation maritime continue de recevoir quelques hydravions déjà commandés. Il s’agit d’une dizaine de Nieuport et de Voisin. Deux escadrilles à l’équipement disparate sont hâtivement créées et mises en place à Bonifacio en août et à Nice d’août à novembre, afin de surveiller l’attitude des forces italiennes dont la neutralité est vacillante, mais rien ne se passe et d’ailleurs l’Italie n’entrera dans la guerre qu’en avril 1915 et de notre côté.

Le croiseur Foudre est intégré dans l’Armée navale et dépose à Bizerte des Nieuport qui servent de volant de ravitaillement. Il est ensuite envoyé dans l’Adriatique pour s’opposer à la flotte autrichienne. Un détachement de deux Voisin est déposé au Monténégro, en septembre, mais les deux appareils sont détruits. On les remplace alors en octobre par deux Nieuport venus de Bizerte via Malte et transportés par la Foudre. Les résultats ne sont guère meilleurs et le vice-amiral Boué de Lapeyrère, commandant l’Armée navale, ne trouve plus d’utilité pour ses appareils. La Marine propose alors à l’Armée de mettre pour emploi une partie de son personnel aéro au sein des escadrilles de l’Aéronautique militaire. C’est ce qui est fait et, fin octobre, c’est plus de 30 % de ce personnel qui est détaché. L’Aviation maritime est en train de mourir, mais cette tendance n’échappe pas à la Marine britannique qui obtient de la France la mise à disposition d’une escadrille de Nieuport.

Ceux-ci, venant de Bizerte et transportés par la Foudre et un autre bâtiment, sont déposés à Port-Saïd (photo) fin novembre 1914 où, sous le commandement du LV de l’Escaille, ils mèneront des missions le long des côtes de Palestine et en mer Rouge, pour surveiller et attaquer les forces turques qui menacent le canal de Suez. Cette escadrille ne quittera l’Egypte qu’en avril 1916. Une des dernières missions de la Foudre au profit de l’Aviation sera de transporter deux Nieuport aux Dardanelles où, de mars à mai 1915, ils serviront à soutenir la Force navale alliée contre les Turcs.

La Foudre abandonne alors sa mission de porte-hydravions et sera remplacée en 1916 dans ce rôle par un cargo transformé, le Campinas (photo).

D’autre part, en janvier 1915, deux escadrilles sont créées dans le nord de la France, l’une armée d’hydravions à coque FBA à Dunkerque, l’autre d’avions Voisin à Saint-Pol-sur-Mer. Elles y coopèrent étroitement avec l’Aviation militaire sur le front des Flandres. À la demande de l’Italie, entrée à son tour dans le conflit, une escadrille d’hydravions FBA est installée en juin 1915 à Venise et elle intervient à plusieurs reprises contre des navires et des sous-marins autrichiens, jusqu’en avril 1917.

L’Aérostation maritime reçoit ses premiers dirigeables en décembre 1915. Ils sont d’origine britannique, mais bientôt les firmes françaises, Astra et Zodiac principalement, vont pouvoir livrer des unités neuves, du type Vedette ou Escorteur, chargés de lutter contre les sous-marins (photo), si possible en coopération avec les hydravions. Les dirigeables de l’Armée, qui se révèlent très vulnérables sur le front terrestre sont progressivement transférés à la Marine en 1916 et au début 1917. Quant aux ballons captifs, munis d’une nacelle d’observation et remorqués par de petits bâtiments, ils apparaissent en avril 1917 et sont chargés du repérage de mines en zone côtière.

Et c’est à partir de 1917 que l’Aéronautique maritime va se développer considérablement dans le cadre de la lutte anti-sous-marine. Les sous-marins allemands constituent en effet pour la France et ses alliés une très grave menace, si bien que le ministre de la Marine crée, en juin 1917, une Direction générale de la guerre sous-marine (DGSM) à laquelle sont subordonnés tous les moyens navals et aériens concourant à la lutte contre les sous-marins ennemis. De très nombreux centres d’hydravions, de dirigeables et de ballons captifs sont alors installés le long des côtes de France et d’Afrique du Nord, en Grèce et même au Portugal. Outre le Campinas, plusieurs bâtiments sont temporairement utilisés comme porte-hydravions : le Nord, le Pas de Calais et le Rouen qui opèrent en Manche et mer du Nord en 1916, la Normandie à partir de Bizerte en 1917 et la Dorade à partir de Casablanca en 1917.

À la fin de la guerre l’Aéronautique maritime aligne près de 700 hydravions des types FBA, Donnet-Denhaut (photo), Tellier, Georges Lévy, Hanriot, sans compter plusieurs centaines d’autres en réserve. Au total l’Aviation maritime aura reçu près de 3 000 appareils de 1910 à 1918, dont la durée de vie est d’environ six mois. Ils sont répartis dans 36 centres comportant des postes de combat annexes. L’Aérostation maritime a en service plus de 200 ballons captifs répartis en 18 centres et 37 dirigeables sur 12 centres. Le personnel volant de l’Aviation maritime comprend 650 pilotes et 700 observateurs d’hydravions et d’avions, et celui de l’Aérostation comprend 100 pilotes de dirigeables et 500 volants sur dirigeables ou captifs. L’ensemble des centres de l’Aéronautique maritime emploie 11 000 marins non volants.

Les brevets de pilotes et les certificats de volants de l’Aéronautique maritime ont été créés tardivement, en avril 1917.